Bali, une offrande aux Dieux


Cédric Matthey

Peut-être n'existe-t-il nulle part ailleurs un territoire marqué à ce point par la tradition, la culture, la foi et un art de vivre si particulier. Bali est un monde en soi, où les divinités côtoient l'humain et l'accompagnent de la naissance jusqu'à la mort, une vie de dévotion, ponctuée de cérémonies, de rituels et de fêtes.

Sans la religion hindouiste, Bali ne serait pas ce qu'elle est; la diversité des temples parsemés sur un territoire guère plus vaste que le canton de Berne, en atteste. De la plus modeste des familles, jusqu'au plus cossu des villages, des temples toujours et encore. L'offrande est ici un rituel pour apaiser les esprits mauvais, là une manifestation de bonne augure pour fêter un événement marquant dans la vie du Balinais.

Mariage Balinais Les Balinais disent en plaisantant que pas un jour ne se passe ici sans une cérémonie, une fête. Et ces manifestations rituelles sont tellement ancrée dans les esprits qu'il ne viendrait à personne l'idée d'y renoncer, pour des raisons professionnelles par exemple. Elles passent avant le travail dans la liste des priorités de chaque individu. Les qualificatifs hâtifs, les clichés à l'emporte-pièce des agences de voyage qui font parfois grincer des dents le visiteur averti trouvent ici une résonnance toute particulière; l'île des Dieux des prospectus cède cette prétention pour n'être qu'une île vouée aux Dieux. L'art de vivre confine ici à une harmonie qui transcende les êtres et les choses.

Les Balinais ont réussi le tour de force de concilier tourisme de masse et préservation de leur culture, une culture complexe, dont ils peuvent légitimement être fiers. Ils affichent d'ailleurs une dignité qu'ils sont soucieux de faire partager au visiteur occidental, en expliquant, à titre d'exemple, que les mendiants, les prostituées que l'on croise à Bali sont en réalité des "émigrés" javanais. Toujours cet antagonisme entre le particularisme balinais (hindouiste à 90%) et le reste de l'Indonésie presque entièrement voué à la religion musulmane.

Cependant, la tolérance que les Balinais manifestent envers leurs compatriotes musulmans, catholiques ou autres, tant et aussi longtemps que ces derniers ne "marchent pas sur leurs plates-bandes", et vis-à-vis des touristes occidentaux ou asiatiques, n'est pas pour rien dans l'attrait que peut exercer sur les visiteurs cette petite île à nulle autre pareille. Il est intéressant de noter que les principales religions pratiquées sur le territoire indonésien intègrent des éléments animistes, ce qui confère à ces dernières une touche singulière propre qui leur permettent d'être bien adaptées aux mœurs et coutumes du pays.

Rizieres La médaille de cet attrait touristique comporte toutefois un revers, en ce sens que les gens estiment que les prix pratiqués à Bali pour les Balinais sont plus élevés, pour un produit similaire, que sur l'île voisine de Java, du fait justement de l'affluence des touristes à fort pouvoir d'achat. Autre point noir, les jeunes Balinais désertent de plus en plus l'agriculture pour trouver un emploi dans le secteur du tourisme, de l'hôtellerie-restauration, ce qui fait craindre pour l'avenir des fabuleuses rizières en terrasses, certes bucoliques pour le regard du touriste, mais empreintes de travail harassant pour le cultivateur local dont le rêve est d'échapper à sa condition de paysan.

Bali tout entière se voit contrainte de pratiquer l'art de l'équilibrisme avec une subtilité certaine, ceci pour survivre et conserver son originalité. N'y voyez aucun repli, aucun archaïsme, mais au contraire une volonté de progresser, sans concessions exagérées au modernisme ambiant.

La fascination légitime que peut exercer la culture balinaise doit beaucoup au raffinement de sa gent féminine, dont la délicatesse et le charme fournissent une contribution appréciable et appréciée à une civilisation qui n'a pas dévoilé tous ces mystères. Si les danses balinaises font indéniablement partie d'un patrimoine culturel connu et admiré bien au-delà des frontières indonésiennes, il n'en demeure pas moins qu'outre cet aspect purement artistique, les activités quotidiennes fournissent un aperçu plus large du soin, de la grâce et de l'élégance des Balinaises. Elles sont souvent "bien mises", et à les voir déambuler dans les temples lors des diverses cérémonies prévues par le calendrier balinais, leur maintien lors du portage des offrandes déposées sur leur tête, on se laisse subjuguer par une telle posture, savamment dosée, toute en retenue et en gestes économes.

Bali, une île touchée par la grâce, que n'épargnent pourtant pas les problèmes contemporains, fléaux qui touchent également et à plus large échelle, d'autres contrées asiatiques. Ainsi, certaines publications en langue anglaise publiées sur l'ile abordent le problème de la pédophilie, un sujet qui il y a peu ne faisait aucunement partie des préoccupations locales. Dans le ton de l'article, on pouvait déceler une certaine crainte devant ce problème crucial; un peu comme si le journaliste qui constatait le fait devait avouer son ignorance pour remédier à ce mal.

Temple Cette petite parenthèse contemporaine refermée, il convient de se pencher sur la multitude de divinités qui colonisent le paysage spirituel de l'île. Outre la célèbre trinité hindoue (Brahma, Shiva et Vishnu), il existe à côté du panthéon hindouiste, moult divinités : déesse de la récolte, déesse de la mer, etc. Par ailleurs, chaque habitation balinaise possède son temple familial, chaque village possède également le sien, chaque rizière a droit à son petit tabernacle. La vie entière du Balinais est mue par et pour la tradition et les croyances. Jusque dans les hôtels pour étrangers, où la partie inférieure des statues de pierre sont recouvertes d'une pièce de tissu à carreaux, la tradition a cours. En effet, la religion hindouiste considère que le haut du corps, la tête est une partie sacrée, alors que le bas du corps est considéré comme impur, mauvais, et doit être par conséquent camouflé. Même derrière le pare-brise de son véhicule, le conducteur a pour habitude de déposer chaque matin une petite offrande, destinée à éloigner les mauvais esprits.

Bref, pour l'esprit rationnel occidental, la complexité du mode de vie balinais révèle une existence rythmée par des impératifs autrement plus exigeants et plus élevés que ceux, très terre-à-terre, de l'occident. Au-delà d'un exotisme de pacotille que les agences de voyage ne se privent pas de mettre en exergue, Bali révèle au contraire un sens profond des valeurs universelles où l'harmonie entre les forces de l'esprit et celles du quotidien doit être préservée, fût-ce au prix d'une liberté individuelle quasi-révérée en Occident.



©2003 Cédric Matthey
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