Il y a 25 ans...la fin de la guerre du Viêt-Nam

Anniversaire d'un gâchis



Cédric Matthey

Dans l'esprit des gens peu au fait des subtilités politiques et stratégiques, la fin de la guerre du Viêt-Nam dont on a fêté les 25 ans le 30 avril dernier, correspond à la défaite militaire des Américains face aux Vietnamiens. Appréciation réductrice s'il en est.

En effet, si victoire il y a eu, c'est celle des Nord-Vietnamiens, d'obédience communiste, sur leurs compatriotes du Sud-Vietnam, soutenus à l'époque par les Etats-Unis. C'est donc bien une guerre civile entre Vietnamiens qui a eu lieu à l'époque. Un conflit fratricide dont les cicatrices demeurent. Les Américains se posaient en défenseur des libertés face à l'avancée du communisme; les Chinois d'abord, les Soviétiques ensuite plaçaient leurs pions pour "libérer" le Vietnam du sud de l'impérialisme. Personne à l'époque, n'a suffisamment pris en compte le nationalisme vietnamien qui trouvait à s'exprimer des deux côtés du 17e parallèle, frontière artificielle séparant le Vietnam du nord de celui du sud.

Et aucune statistique, aucune étude, ne rendra suffisamment compte de l'amertume des Sud-Vietnamiens, à l'égard des "occupants" nordistes. Même si la victoire militaire des Nords-Vietnamiens, qui utilisèrent également les membres du Viet-cong (communistes du Sud-Vietnam) pour parvenir à leurs fins, a mis un terme à un conflit meurtrier, il n'en reste pas moins que la "libération" prônée par le parti communiste se confondit avec l'oppression pour l'écrasante majorité des Sud-Vietnamiens ayant le communisme en horreur.

Les défilés pompeux et archaïques organisés à Saigon (que plus personne n'appelle Hô Chi Minh Ville, nom officiel de la cité) ce 30 avril 2000 par les autorités communistes, ne trompent plus personne. La population saïgonnaise a été tenue à l'écart de ces manifestations officielles et d'ailleurs, qu'aurait-elle fêté ? La mise sous tutelle d'un pays entier par le biais d'une idéologie d'importation ? La corruption du régime ? Le mépris des droits de l'homme ?

La réunification géographique de la nation vietnamienne obtenue par la force ce 30 avril 1975, n'a pas encore conduit, loin s'en faut, à une réunification des esprits et des mentalités. Chaque Vietnamien est avant tout originaire d'une région, à laquelle il s'identifie fortement. "La loi de l'empereur s'arrêta à la barrière en bambou du village", dit schématiquement un proverbe vietnamien. C'est dire à quel point l'unité des Vietnamiens, au demeurant très individualistes, reste encore à faire.

Dans l'ouvrage qu'ils ont publié en 1994 *, Jean-Claude Pomonti et Hugues Tertrait mettent en exergue le fait que les périodes d'unité entre le Nord et le Sud du pays furent en fait fort rares dans l'histoire du pays. Ainsi que le relèvent les deux auteurs: "Le Viêt Nam réapparaît tel qu'il est, dans son unité culturelle et linguistique, mais avec ses traditions provinciales, ses déséquilibres économiques, ses problèmes démographiques, son manque d'espace vital, et la faiblesse des liens physiques entre le delta du Fleuve Rouge, où se trouve encore l'essentiel du pouvoir politique, et celui du Mékong, où se situent de plus en plus les richesses économiques." En guise de conclusion, les auteurs estiment en outre que l'ouverture du pays est irréversible.

Il ne faut toutefois pas perdre de vue que les libertés individuelles restent sous surveillance au Viêt-Nam. Preuve en est le témoignage que livre le célèbre écrivain vietnamien Nguyên Huy Thiêp dans un texte intitulé "des chansons" **, traitant de sa condition d'écrivain: "Il semble que le travail de l'écrivain est d'éveiller les consciences, d'en être le contrepoint. Si l'homme est ignorant, l'écrivain doit parler de l'intelligence, de la sagesse. Si l'homme devient exagérément intelligent, exagérément sage, l'écrivain incitera à la rêverie. Si l'homme a tendance à faire le mal, l'écrivain exaltera le bien. ... Ainsi, l'écrivain est constamment à contre-courant et par conséquent, il s'attire constamment des ennuis. L'écrivain est celui qui orchestre l'imaginaire. De par nature, c'est un sage. Qu'importe qu'on cherche à lui couper les ailes, il refuse de courber l'échine ! Car il aime la liberté. Or aimer la liberté est un réel handicap. Cependant, gardons notre sang-froid. De même que le croyant, cherchons la liberté dans la douleur, au sein même de la pauvreté et des coups bas politiques."

Vingt-cinq ans après la fin d'une guerre meurtrière, les Vietnamiens "fêtent" une libération sans liberté. Vingt-cinq ans, une génération sacrifiée sur l'autel de schémas politiques hasardeux. La population vietnamienne, ne sera véritablement en liesse que le jour où elle décidera d'elle-même des raisons de faire la fête. Pour l'instant, elle plonge dans l'instant présent, elle espère un avenir meilleur, elle ne se retourne pas sur un passé qui a constitué pour elle un gâchis, humain, économique et politique.


* Jean-Claude Pomonti et Hugues Tertrais, Vietnam: communistes et dragons, Le Monde Editions, Paris, 1994

** Nguyên Huy Thiêp, Le coeur du tigre, trad. du vietnamien par Kim Lefèvre, éd. de l'Aube, 1993



©2000 Cédric Matthey
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