Les 9 mythes de la Nouvelle Economie

Pascale Boyer *

"Ce n’est pas l’espèce la plus forte, ni la plus intelligente qui survit, mais celle qui sait s’adapter au changement." – Charles Darwin

Qu’est-ce que la Nouvelle Economie?

Quand on parle de la Nouvelle Economie, on pense à un monde où les individus travaillent plus avec leur tête qu’avec leurs mains. Un monde où la technologie des communications crée une concurrence globale, non seulement pour les biens de consommation mais aussi pour les services. Un monde dans lequel les innovations sont plus importantes que la production de masse. Un monde où le changement rapide est une constante. Un monde aussi différent que l’ère industrielle l’était de son prédécesseur agricole. Un monde si différent que son émergence ne peut être qu’une révolution.

A chaque nouveau concept, les spécialistes mettent du temps pour trouver une bonne définition. On peut, en effet, la considérer sous plusieurs angles et la servir à (presque) toutes les sauces. Il y a deux directions: certains auteurs soulignent que la Nouvelle Economie est l’évolution de la Vieille Economie; d’autres pensent qu’il s’agit de secteurs particuliers et d’activités liées à la technologie et à Internet.

Dans ce qui suit, l’accent a été mis sur l’évolution de l’économie en général. Pourquoi? Pour plusieurs raisons: premièrement, la technologie peut être appliquée à tous les secteurs et toutes les industries de l’économie, elle ne se borne pas à un seul secteur même si l’importance de la technologie varie de l’un à l’autre. Pour certaines entreprises, elle ne sera qu’un outil de production comme un autre (industrie des machines, sidérurgie,…), pour d’autres, elle constituera l’activité principale (e-business, développement de logiciels,…). Deuxièmement, il s’agit d’une évolution comme l’a été la révolution industrielle. La vague de progrès générée par la technologie et Internet a eu des répercussions partout. Ces conséquences ne sont pas toujours positives et peuvent être source de discriminations (certains informations disponibles uniquement sur Internet ou accès seulement avec un téléphone portable, un luxe que ne peuvent pas encore se permettre certains pays). Troisièmement, la Nouvelle Economie est mondialisée dès le départ, c’est-à-dire qu’elle touche tous les pays mais de manière inégale. En effet, elle touche plus les pays développés que les pays en développement principalement à cause des accès à la technologie et aux moyens informatiques. Enfin, la Nouvelle Economie, par le biais de la technologie et du réseau Internet, accroît la transparence des prix, des produits.

Pour toutes ces raisons, il s’agit vraiment d’une évolution.

Quelles sont les différences par rapport à la Vieille Economie?

Voici quelques différences tirées du document de R. D. Atkinson et de R. H. Court intitule: "The New Economy Index: Understanding America’s Economic Transformation", Novembre 1998, p. 7. Il est possible de le télécharger à l’URL suivant: http://www.neweconomyindex.org/order.html

 

Vieille Economie

Nouvelle Economie

Caractéristiques économiques

Marchés

Stable

Dynamique

Etendue de la concurrence

Nationale

Globale

Formes d’organisation

Hiérarchique, bureaucratique

En réseau

Industries

Organisation de la production

De masse

Flexible

Eléments clés de la croissance

Capital et travail

Innovation et connaissances

Eléments clés technologiques

Organisation mécanique

Organisation digitale

Source d’avantage concurrentiel

Baisser les coûts par le biais des économies d’échelle

Innovation, qualité, accès temporel au marché et coût

Importance de la recherche et de l’innovation

Moyenne

Haute

Relations avec les autres acteurs du marché

Aucune

Alliances et collaboration

Force de travail

Objectif politique

Plein emploi

Salaires plus élevés

Compétences

Liées au travail

Larges et interdisciplinaires

Formation requise

Compétence ou diplôme

Formation continue

Relations professionnelles

Concurrence

Collaboration

Nature de l’emploi

Stable

Risqué et défini par les opportunités

Gouvernement

Relation avec les entreprises

Imposition d’exigences particulières

Encouragement à la croissance

Réglementations

Ordre et contrôles

Outils économiques et flexibilité

Même si ce tableau résume assez bien les évolutions qu’ont apporté la Nouvelle Economie, il reste certains points sur lesquels on ne peut être entièrement d’accord en se basant sur la situation actuelle.

On peut vraiment se poser des questions: est-ce vraiment l’ objectif politique d’avoir des salaires plus élevés? En ce qui concerne les relations professionnelles, les auteurs déclarent qu’elles sont essentiellement basées sur la collaboration alors que la concurrence entre collègues est souvent la règle.

Le deuxième thème qui peut soulever des interrogations est relatif au gouvernement: est-ce qu’il encourage vraiment la croissance et favorise l’établissement des entreprises? En Europe, des doutes subsistent. Aux USA, il est possible que cela se vérifie de manière plus plausible. Quant aux réglementations, elles constituent encore des obstacles plutôt que des outils économiques.

Il y a encore du chemin à faire jusqu’à ce que toutes ces affirmations se vérifient.

Les quatre piliers de la Nouvelle Economie

On peut donc déduire que la Nouvelle Economie reposera sur les bases suivantes:

  • investissements dans de nouvelles bases économiques (formation, recherche technologique et scientifique);
  • création d’un environnement ouvert et flexible dans les domaines de la réglementation et du commerce afin de soutenir la croissance et l’innovation;
  • développement de politiques qui vont permettre aux travailleurs d’avoir à disposition des outils pour s’adapter et prospérer dans un environnement en constante évolution;
  • réinvention et organisation digitale des gouvernements afin d’augmenter leur efficacité et leur flexibilité.

Les 9 mythes de la Nouvelle Economie

Les titres et les statistiques proviennent du rapport cité plus haut alors que les commentaires sont de l’auteur de l’article.

Les mythes pessimistes

Mythe # 1: La Nouvelle Economie a favorisé la désindustrialisation

En fait, l’industrie n’a pas disparu, mais elle a été réinventée. En effet, les investissements en technologie, en formation et en nouvelles formes d’organisation du travail ont permis d’accroître la productivité, et donc d’améliorer l’efficacité des industries.

Cette évolution est indispensable pour plusieurs raisons: d’abord, le temps entre la découverte d’une invention et la mise sur le marché du produit fini est de plus en plus court; ensuite, la pression de la concurrence et les avancées technologiques font chuter les prix et effacent les différences entre les produits, les entreprises doivent donc innover sans cesse pour se démarquer; enfin, la disponibilité de l’information, la variété des produits et de leurs substituants ainsi que la proximité des lieux d’achat favorisent l’infidélité des clients à l’égard d’une marque.

Mythe #2: Dans la Nouvelle Economie, la mondialisation et la course au profit ont contribué à générer des salaires stagnants pour la majorité des employés.

La faible croissance des salaires découle de la faible progression de la productivité globale. Entre 1985 et 1995, aux USA, la productivité a cru de 9% et les salaires de 6%.

On doit ajouter à cela la pression sur les coûts générée par un environnement concurrentiel impitoyable. La guerre des prix fait rage dans presque tous les domaines et souvent la composante qui coûte le plus est le personnel. C’est aussi un des facteurs les plus facile à gérer en matière d’entrées et de sorties d’un point de vue financier uniquement bien sûr. Il faut toutefois rappeler que les connaissances et les compétences humaines sont un capital précieux à gérer et à conserver afin de garder l’unicité et la cohérence des groupes. Cette pression a un deuxième effet: les entreprises sont forcées d’innover et d’injecter des fonds dans la recherche pour rester dans la course et se distinguer de leurs concurrents.

Mythe #3: Au sein de la Nouvelle Economie, la majorité des nouveaux postes de travail sont précaires et mal rémunérés.

Les postes bénéficiant d’un bas salaire croissent beaucoup moins rapidement que ceux jouissant de hauts revenus. Entre 1989 et 1998, aux USA, les postes à hauts salaires ont enregistré une croissance de 20% alors que les postes à bas salaires une hausse de 10% (croissance en nombre et non pas en masse salariale).

Les individus possédant de bas revenus n’ont souvent pas la possibilité de se former et d’acquérir les compétences nécessaires pour accéder à des postes bénéficiant de salaires plus élevés. La formation et l’expérience constituent les compétences des personnes. Plus les compétences sont uniques et rares, plus l’entreprise sera prête à payer cher pour conserver ce capital humain. Les bas revenus sont fréquemment attribués à des postes où le nombre de candidats capables d’effectuer le travail est élevé.

Mythe #4: Les changements technologiques détruisent plus de postes qu’ils n’en créent.

En fait, la technologie change la composition des postes et augmente la productivité et les salaires. Toutefois, elle n’accroit pas le taux naturel de chômage. Au contraire, la Nouvelle Economie a permis, aux USA, de réduire le taux de chômage à son plus bas niveau depuis 25 ans.

Les ordinateurs et les machines ne remplacent pas la pensée humaine, mais accroissent son potentiel. L’innovation technologique est vital au maintien de l’économie d’un pays comme elle est nécessaire à une entreprise. Elle assurera sa survie dans un environnement où la concurrence est vive et où il faut innover sans cesse pour conserver sa clientèle. En effet, il ne suffit plus d’avoir des produits performants, il faut encore anticiper les besoins et les désirs particuliers des clients en essayant de résoudre leurs problèmes.

La "destruction créative" peut paraître un terme un peu barbare mais, on ne peut le nier, il est caractéristique de ce début de siècle. Le rythme des innovations est tel que les entreprises doivent prévoir le retrait du marché d’un produit qui n’est encore qu’à son stade de développement. De plus, on pourrait presque se réjouir du fait que les postes supprimés sont ceux qui ont le moins de valeur ajoutée. On peut donc espérer, à l’avenir, des tâches de plus en plus intéressantes pour les personnes disposant d’une formation de base. Un problème réside toutefois dans la reconversion des travailleurs dont les tâches sont automatisées.

L’innovation et ses implications peuvent être freinées ou arrêtées par la résistance au changement, caractéristique de l’être humain en général. Le risque sous-jacent à l’innovation est détesté par un bon nombre de personnes qui ne voient pas l’avantage de changer. Ils n’aiment prendre que des risques calculés. Souvent ils préfèrent attendre de voir leurs voisins adopter une innovation avant de s’y lancer eux-mêmes. De plus, on peut dire d’une manière générale que certaines populations ont une conception de l’échec différente ainsi qu’une culture du risque plus prononcée.

Mythe #5: Les restructurations des entreprises signifient une réduction de la classe moyenne des cadres

Les restructurations impliquent une réflexion sur l’organisation des entreprises. La nouvelle structure doit être adaptée aux évolutions technologiques. La décentralisation permet plus de liberté et plus de flexibilité pour atteindre les objectifs. De plus, la réduction du nombre de niveaux hiérarchiques permet des communications plus directes et plus rapides.

Un fonctionnement par projet semble être très efficace pour un bon nombre d’entreprises quelque soit leur domaine d’activité. Les équipes sont concentrées sur des problèmes à résoudre et sont menées par un "leader" disposant de larges connaissances dans le domaine mais restant toutefois polyvalent afin de déterminer les zones d’interdisciplinarité. Cette équipe possède les données de base en termes de délais et de coûts, mais reste libre sur les moyens d’actions et les méthodes pour parvenir aux résultats.

Bien que les organisations s’applatissent, elles ont toujours besoin de guides motivés. La classe moyenne des cadres a donc changé, pour devenir plus exigeante en termes de personnalité et de compétences.

Les mythes optimistes

Mythe #1: L’économie se trouve au milieu d’un "boom" unique qui a commencé dans les années 1980.

En termes de croissance du PIB par personne et des salaires, les années débutant en 1980 se trouvent loin derrière les taux enregistrés dans les années 1960 et 1970.

La raison principale de la croissance est différente entre les deux périodes. Les années 1960-1970 sont plus le symbole d’une innovation industrielle lourde et des débuts des découvertes informatiques (même si les ordinateurs remplissaient un auditoire entier et ne savaient que trier les cartes perforées). Les années 1980-1990 sont plus orientées vers les développements informatiques et le réseau Internet.

Un autre changement est constitué par le "transfert de pouvoir" des entreprises qui possédaient les meilleurs outils et moyens de production vers les entreprises qui ont les connaissances technologiques, les idées et l’accès aux informations. Les ressources stratégiques ont donc changé de type, elles sont devenues intangibles. De plus, les connaissances sont pratiquement inépuisables car elles sont toujours alimentées par des idées nouvelles. Le processus se génère de lui-même. On ne risque donc pas de se heurter à des limites dans ce domaine-là et on peut donc s’attendre à ce que la croissance et le progrès partent du savoir technologique.

Mythe #2: Les inégalites entre les salaires ont diminué.

Entre 1980 et 1996, les salaires réels ont augmenté de 58% pour le 5% des ménages américains les plus riches tandis qu’ils ont augmenté de 4% pour le 60% des ménages.

On peut faire la même constatation dans la majorité des pays développés. Les inégalités entre les pays sont encore plus frappantes. Le salaire indique le pouvoir d’achat. L’UBS publie tous les 3 ans une étude intitulée "Prix et salaires dans le monde". La dernière date de 1997. On peut faire deux remarques en la parcourant et en retraitant certaines données par zones géographiques: en ce qui concerne le salaire horaire moyen en CHF, on peut constater que l’Europe (14.16) et les USA (16.86) bénéficient d’un salaire deux à trois fois plus élevé que les pays situés en Asie (6.88), en Amérique Latine (4.91) ou en Afrique (5.20); enfin, d’une manière générale, on peut constater que la nombre annuel moyen d’heures de travail varie entre les pays riches, qui travaillent moins (Europe: 1773, USA: 1880), et les pays pauvres, qui travaillent plus (Asie: 2129, Amérique Latine: 2069, Afrique: 1983).

Les inégalités entre les salaires n’ont pas diminué. Un des défis de ce siècle est de les réduire afin d’apporter un minimum de bien-être à ceux qui en ont le plus besoin. Généraliser un accès gratuit à la formation est indispensable pour atteindre cet objectif.

Mythe #3: Les tendances de dispersion de la Nouvelle Economie signifient la fin des grandes entreprises et des gouvernements.

Les grandes entreprises et les gouvernements sont en train de se réinventer et jouent encore un rôle important dans l’économie.

Parce que les technologies de l’information donnent la possibilité d’atteindre de plus grands marchés et de profiter des économies d’échelle, la taille moyenne des entreprises au sein de la Nouvelle Economie est en train d’augmenter et non pas de se réduire. De plus, comme Internet ne signifie pas la fin des grands empires tels que IBM, cela ne signifie pas non plus la mort des gouvernements. En fait, les gouvernements doivent se réorganiser afin d’être plus rapides et plus flexibles.

L’influence des gouvernements sur l’économie devient un simple facteur supplémentaire à prendre en compte et non plus une contrainte. En effet, l’Etat n’a plus autant de pouvoir d’action sur les entreprises et les marchés financiers. Ainsi, on va peut-être voir émerger des structures étatiques plus légères, plus flexibles et plus efficaces. Elles seront réduites aux domaines que l’on ne peut pas privatiser au risque de favoriser l’élitisme comme pour la formation, la santé, les dépenses sociales (retraites, chômage,…), les infrastructures publiques (routes, transports,…). En se concentrant sur des domaines précis, ces institutions seront plus efficaces et pourront être mieux gérées.

Mythe #4: Dans la Nouvelle Economie, une grande partie de la force de travail est indépendante.

Les entrepreneurs représentent toujours la même portion de travailleurs que durant les périodes précédentes. Entre 1975 et 1994, aux USA, les professions libérales sont restées au même niveau, environ 8.7%.

La faculté de devenir indépendant dépend de la volonté et du goût pour le risque ainsi que des moyens financiers à disposition et des infrastructures du pays. D’une manière générale, il est plus aisé de créer une entreprise sur le sol américain qu’en Europe. En effet, l’infrastructure (existence de "venture capitaliste", liens entre les mondes académique et professionnel), l’organisation de la société (tradition de création d’entreprises, peu de pénalisation en cas d’échec,…) ainsi que les mentalités (goût pour le risque et l’innovation) sont plus favorables aux futurs entrepreneurs.

Le fait que la proportion d’entrepreneurs dans la population des travailleurs soit restée stable découle probablement du haut taux de mortalité des petites entreprises à leurs débuts.

 

Pour conclure…

Consciemment ou non, tout le monde comprend que le monde est en train de changer fondamentalement, même si ces changements font partie ou non de la Nouvelle Economie.

Le but principal de cet article était d’apporter une réponse aux idées reçues qui sont souvent générées par des évaluations inexactes et un manque de données complètes.

En effet, pour la majorité des personnes se situant à gauche, la Nouvelle Economie représente une menace sur la cohésion sociale et la justice économique. Ces individus accentuent les problèmes et sous-estiment les bénéfices. Ils accusent la technologie et la mondialisation de pression sur les salaires, de l’augmentation des inégalités et des problèmes environnementaux. Leur idéal économique serait constitué de grandes entreprises employant une main-d’oeuvre stable dans des marchés concurrentiels stables. Tout ceci est irréaliste dans le contexte de la Nouvelle Economie.

Pour les partisans de droite, le développement technologique signifie automatiquement la fin des gouvernements. Ils mettent en évidence les bienfaits de la Nouvelle Economie en oubliant de mentionner les problèmes. Ils voient des opportunités de croissance et de créativité mais cherchent à réduire au maximum le rôle économique des gouvernements. Pour eux, l’idéal seraient un monde de petites entreprises et d’entrepreneurs dans un marché dynamique, les inégalités de salaires seraient bénéfiques car elles encourageraient à travailler dur, et le gouvernement serait, bien sûr, inexistant.

Aucune de ces deux opinions n’est correcte car elles sont toutes les deux exagérées et peu objectives. Que l’on soit pour ou contre la Nouvelle Economie, il faut se rendre compte des opportunités et des problèmes qui peuvent surgir. Au lieu de les mettre en évidence ou de les cacher, il faut chercher des solutions.





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