Laos - L'aventure au coin de la rue


Cédric Matthey

Bangkok-Vientiane, deux capitales que (presque) tout sépare !

Bangkok, ville tentaculaire enserrée dans un entrelac de routes, de voies rapides et d'autoroutes suspendues, métropole grouillante bruissant des mille et uns tintamarres d'une Asie en mouvement, s'impose comme un pôle incontournable dans le dispositif des économies de la région. Quel contraste lorsque depuis Bangkok, j'atterris à l'aéroport de Vientiane, capitale d'un pays qui s'affiche encore comme République Démocratique et Populaire (R.D.P. Lao) et qui ressemble à une simple ville de province.

Cependant, au-delà des clichés caricaturaux, des similitudes se font jour entre Bangkok et Vientiane qui, toutes les deux et chacune à leur manière, déploient leurs charmes et permettent de saisir tout l'attrait que peut exercer une ville du sud-est asiatique. Une ambiance bon enfant, chaleureuse, qui vous saisit dès les premiers regards échangés avec les autochtones. Dans cette région du monde, la campagne a encore droit de cité en milieu urbain, celle-ci prend en quelque sorte possession de bouts de territoire, comme arrachés aux griffes du modernisme triomphant.

En Asie du Sud-Est, la ville s'adapte et fait des concessions au mode de vie campagnard, tout comme les gens venus des campagnes doivent prendre place dans une structure urbaine qu'ils n'appréhendent guère. Les paysans constituent encore la majorité de la population de l'ensemble des pays de cette région. Ils ne constituent certes pas une force financière qui compte, mais ils sont présents, en masse, offrant ainsi à ces cités-vitrines un soupçon d'humilité, une trace d'humanité. Cette atmosphère à nulle autre pareille m'envahit à chaque fois que je plonge dans les méandres pleines des surprises que réserve au piéton déambulant, la cité qui s'ouvre, éternelle fleur de lotus géante surgie du caniveau pour mieux embrasser le ciel.

En Thaïlande, les gens sont accueillants presque instantanément et ce n'est pas pour rien que cette contrée est souvent qualifiée de "pays du sourire". Au Laos, par contre, les gens donnent l'impression, au premier abord, d'être assez froids et distants, comme s'ils ne s'intéressaient pas à l'étranger de passage. Une réaction que l'on peut qualifier de saine en ce sens que le statut de l'Occidental financièrement aisé ne les impressionnent guère. Bref, les Laos ne se laissent pas "acheter", en quelque sorte. Cependant, passé cette première approche, les Laos se décrispent. Leur pudeur et leur discrétion masquent en fait une réelle gentillesse.

Vientiane, capitale de poussière

Sise sur les rives du majestueux Mékong, la capitale laotienne émerge timidement d'une léthargie mortifère. Confinée dans une torpeur imposée par un parti unique dont la teneur des discours marxistes-léninistes ne trompe plus personne depuis longtemps, Vientiane sort d'un trop long sommeil. Les pointes acérées des "vat" (monastère bouddhiste) déchirent un ciel régulièrement assombri par les nuages de poussières que soulèvent les véhicules; le bitume s'arrêtant net sur les bas-côtés. Vientiane, à l'image du pays tout entier, s'accorche au wagon du "miracle" économique asiatique. 55% des inventissements au Laos sont le fait de la Thaïlande voisine. Une main-mise économique qui saute aux yeux. En effet, sur les tables des gargotes, quantité de produits importés de Thaïlande font leur apparition. Les Laotiens se délectent des séries de la télévision et des chansons pop sucrées à la sauce thaïlandaise.

Mais Vientiane conserve indéniablement un charme provincial. A mesure que l'on s'éloigne des rives du Mékong et du centre-ville, la cité se perd dans la nature, les rizières, les terrains vagues. Et partout, la robe orangée des bonzes (moines bouddhistes) enflamme le paysage. Chaque homme laotien passe une période de sa vie dans un monastère bouddhiste. Nombre de jeunes novices effectuent un passage dans l'un des nombreux "Vat" que compte Vientiane tout en poursuivant leurs études. Ce mode de vie, profondément ancré dans la mentalité laotienne, confère à ce pays une atmosphère de sérénité difficile à retrouver ailleurs en Asie. Ceci explique peut-être que la précipitation n'a pas cours au Laos, et pourquoi ses habitants paraissent si paisibles.

Certes, il faut se garder d'idéaliser la vie de la capitale laotienne qui, comme partout en Asie, comporte son lot de problèmes liés à la pauvreté, aux conditions de santé et autres. Vientiane se modernise et tente de se développer économiquement. Des "cyber-cafés" s'ouvrent dans les villes principales du pays, des boulangeries et autres troquets à l'usage des "falangs" (étrangers) s'alignent le long des rues les plus fréquentées. Les motocyclettes, symboles de l'amélioration du niveau de vie, pullulent. Vientiane est un chantier permanent, tout est à faire ou à refaire; le nouveau visage de la ville se dessine peu à peu. Les petits restos typiques alignés à la vite le long d'un terre-plein surplombant le fleuve vont-ils être balayés par les nouvelles constructions ? On peut le craindre.

Phonsavan, une ville du bout du monde

Phonsavan est le chef-lieu de la province de Xieng Khouang, la province la plus bombardée durant la guerre menée par les Américains au Viêt Nam. En effet, la fameuse piste "Hô Chi Minh" par laquelle l'armée nord-vietnamienne acheminait armement, véhicules et matériel au communistes sud-vietnamiens (viet-cong), empruntait une partie du territoire laotien. En arrivant par avion de Vientiane, les cratères des bombes larguées par les B-52 sont encore aisément visibles. A Phonsavan, il n'est pas exagéré de dire que l'on est en plein "Far East": une rue principale en terre battue, le long de laquelle s'alignent des rangées de mornes bâtisses, et dont le moindre véhicule qui l'emprunte soulève un nuage de poussière. L'intérêt de la région réside dans trois sites archéologiques, la célèbre "Plaine des Jarres", qui doit son nom aux innombrables jarres datant de 3000 ans qui parsèment le paysage. Des jarres si mystèrieuses qu'aujourd'hui encore les archéologues n'ont pu établir avec certitude leur utilité.

Luang Prabang, le joyau du Nord

Surplombant le Mékong et la rivière Nam Khane entre lesquelles elle se love, la fascinante cité de Luang Prabang, haut-lieu de la culture laotienne, est promise à un bel avenir, pour autant que le flux de visiteurs n'en déprécie pas les attraits. Une cité chargée d'histoire, dans laquelle déambuler à pied constitue encore un réel plaisir. Peu de circulation, les bateaux "lents" (par opposition aux vedettes rapides) sont utilisés comme taxis-bus fluviaux pour se rendre d'une ville à l'autre, par le Mékong, importante voie de communication fluviale s'il en est.

Ancienne cité royale, Luang Prabang exhibe fièrement ses trésors. Parmi ceux-ci figurent le Vat Xieng Thong, l'un des monastères bouddhistes parmi les plus anciens du pays. Ce joyau de l'architecture traditionnelle laotienne n'est que l'expression d'une religiosité toujours vivante et dont l'empreinte marque à jamais l'existence même du peuple laotien. Ainsi, au Laos, il est usuel de voir passer les bonzes en cortège, très tôt le matin, pour recevoir leur part de nourriture distribuée par les habitants sagement alignés le long du parcours emprunté par les moines. Un geste qui n'est pas perçu comme une obligation mais comme une faveur destinée à se procurer des mérites pour une vie meilleure. Il ne faut pas oublier en effet que les bouddhistes croient en la réincarnation.

Mais, le charme suranné de Luang Prabang tient aussi au climat bon enfant qui règne dans cette pittoresque bourgade. La population paraît ici plus avenante et décontractée que celle de la capitale. Lorsque vous avez eu un contact même succint avec un autochtone, celui-ci vous reconnaît plusieurs jours après et vous salue. Et puis, les Laotiens ne font pas de concession aux étrangers, ils vous saluent dans leur langue en vous lançant un "Sabay di" (bonjour en laotien). Pas de "goog morning" ou autres "hello" par ici ! Un comportement en somme très sain, une manière de se montrer fier de sa culture et de son mode de vie.

Quitter Luang Prabang est toujours difficile. On s'attache très vite à la ville, qui fut autrefois une cité royale et qui, jouit de ce fait, d'un certain prestige. La monarchie ayant été abolie au Laos, les Laotiens nostalgiques affichent dans leur maison un portrait du roi Bhumipol, le souverain thaïlandais. Au marché, il est facile de se mêler à la population locale, en dégustant une appétissante soupe de nouilles dans les gargotes rudimentaires qu'on trouve d'ailleurs partout où des gens sont censés attendre. La soupe de nouilles est ici l'équivalent du sandwich chez nous, on en consomme à toute heure ! Les Laotiens, avec l'arrivée des touristes, ont vite saisi l'importance du cachet que dégageait Luang Prabang. Le long du Mékong, adossés à la rive, les habitants ont rapidement insallé de petits pontons de bois, bricolés à la va-vite, et servant de bar pour celles et ceux voulant siroter une bière fraîche laotienne, au demeurant exquise, tout en admirant le coucher du soleil. A la nuit tombante, le paysage est vraiment idyllique, et ce n'est pas un cliché que de le dire.

Nulle part ailleurs au Laos, on ne retrouve cette harmonie entre une cité, ses habitants, sa culture et une nature environnante qui la protège comme un écrin. Luang Prabang est le joyau culturel du pays, cela ne fait aucun doute. Elle est un bijou précieux à préserver, et l'UNESCO ne s'y est pas trompée puisque cet organisme a classé la ville au rang de patrimoine de l'humanité.

Muang Sing, paradis opiacé

Bourgade sise à quelques kilomètres seulement de la frontière chinoise, Muang Sing fait partie du trop fameux Triangle d'or, carrefour des trafics en tous genres, dont celui de la drogue. Ici, l'opium se vend même au marché, comme n'importe quel fruit ou légume ! Dès la nuit tombée, des individus rasant les murs vous proposent de tâter de cette substance par des gestes significatifs. Mais, Muang Sing, fort heureusement, offre au visiteur de passage une ambiance particulière, étant donné que la ville est un carrefour vers lequel convergent les différentes minorités ethniques de la région (Akhas, Hmongs, Yaos, etc.). Tôt le matin, au marché principal, les gens de ces tribus descendent de leurs collines pour vendre les marchandises qu'elles ont à offrir. Chaque ethnie porte un type de costume ou de coiffe bien précis, ce qui permet aisément de distinguer à quelle tribu appartient la personne. Marcher dans les environs permet ainsi de visiter plusieurs villages intéressants, ne disposant ni d'eau courante, ni d'électricité, mais qui accueillent simplement l'étranger, régulièrement invité dans la maison du chef du village pour partager un modeste repas. Un contact authentique, simple et naturel, qui ne peut que réjouir le voyageur attentionné et curieux.

Houei Sai, le trafic encore et toujours !

Les déplacements au Laos constituent toujours une aventure. Entre les vieux zincs chinois, aux pneus usés jusqu'à la corde et aux sièges déglingués, et les pick-up Toyota sur lesquels s'entassent passagers et marchandises, le confort est ici une notion toute relative ! Pour rejoindre Houei Sai (à la frontière thaïe) depuis Muang Sing (près de la frontière chinoise), l'unique voie de communication est une piste de terre battue qui devient un véritable bourbier lorsque la pluie se met à tomber. Bloqué durant deux jours et demi dans un village pour cause de piste impraticable, l'Occidental pressé saisit très rapidement qu'au Laos, la patience est une vertu à cultiver jour après jour ! Une patience heureusement récompensée par la bonhommie et la simplicité des villageois.

Après ces péripéties météorologiques, Houei Sai, petite ville-frontière séparée de la Thaïlande voisine par le Mékong, apparaîtrait presque comme un petit paradis. Comme toutes les zones frontalières, celle-ci est un point important pour la contrebande et les trafics en tous genres. Une autochtone me souffle que certains habitants se sont enrichis très rapidement par ce biais. Les villages environnants, dont souvent chacun se spécialise dans une activité artisanale précise (fabrication du "lao-lao", l'alcool de riz local, des vermicelles, du papier à base de bambou) font apparaître à quel point l'activité économique générale du pays reste encore rudimentaire et peu mécanisée. De Houei Sai, il est aisé de regagner Luang Prabang par la voie fluviale, à travers un paysage somptueux fait de collines abondamment boisées et de villages rustiques adossés au fleuve.

Le Laos demain

Lors de ma première visite du Laos en 1988, la simplicité du mode de vie, la relative douceur des habitants (nonchalance diront certains !), l'absence de précipitation et l'ambiance générale de cette contrée à l'écart de tout, m'avaient séduit. Plus d'une dizaine d'années après ce premier voyage, la séduction demeure. Pour combien de temps encore, nul ne peut le prédire, le Laos tente d'adapter le développement économique à son rythme. Au contraire de certains de ses voisins (Chine, Viêt-Nam) qui pratiquent un capitalisme débridé et anarchique, les Laotiens avancent à petits pas et, espérons-le, réussiront peut-être la gageure d'un développement harmonieux, il est toujours permis de rêver ! Le Laos parviendra-t-il à suivre sa propre voie dans le cadre d'une mondialisation à laquelle il sera tôt ou tard confronté ? Pour un pays aussi peu peuplé et enclavé tel que le Laos, et au vu de l'influence minime qu'il peut exercer sur ses voisins, l'approche pragmatique et raisonnable que ce pays a choisie constitue un indispensable réflexe de survie.



©2000 Cédric Matthey
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