Vietnam: Un secteur public sinistré

Cédric Matthey

Le secteur public vietnamien n'a pas attendu la crise financière asiatique pour souffrir du manque de moyens. Parent pauvre des réformes économiques, l'Etat vietnamien paie bien mal ses employés. Raison pour laquelle, à l'instar du secteur privé, des collaborations voient le jour entre des organismes publics vietnamiens et divers partenaires étrangers afin d'améliorer les infrastructures existantes.

Ainsi en est-il de Vietnam MedAid (VMA), un groupement formé de médecins suisses qui est à pied d'oeuvre depuis six ans à Can Tho, la capitale régionale du delta du Mékong. L'hôpital général de Can Tho compte 500 lits pour un bassin de population d'environ 6 millions d'habitants. Fondée en 1993 par le Dr Blaise Gréco, VMA se charge de fournir du matériel hospitalier et s'occupe de la formation des Vietnamiens en Suisse. VMA envoie également sur place des spécialistes suisses. Parmi ceux-ci figure le Dr Bernard Neuhaus, chirurgien orthopédiste établi à Bienne qui a effectué de nombreux séjours professionnels à Can Tho. Celui-ci estime que par rapport à l'état dans lequel se trouvait l'hôpital il y a six ans, les choses se sont améliorées. Mais, pour pouvoir progresser dans de bonnes conditions, il convient de tenir compte des mentalités locales, des lacunes d'une formation parfois sommaire ainsi que du manque de moyens dans de nombreux domaines. En effet, rien ne sert de vouloir transposer telles quelles des pratiques occidentales qui se révéleront bien vite inefficaces.

Le Dr Bernard Neuhaus explique qu'il faut également tenir compte du fonctionnement d'une administration étatique lourde, qui imprime un rythme de travail restreint (7h-11h et 14h-17h). En dehors des horaires officiels, les médecins exercent leur profession à domicile en donnant des consultations privées, ceci pour arrondir un trop maigre revenu. Dès lors, on peut comprendre que la motivation et l'ardeur à la tâche fassent parfois défaut ! D'importantes lacunes restent également à combler dans le domaine de la formation du personnel médical. Insuffisamment qualifiés pour une médecine dite moderne, les médecins, infirmières et autres se débrouillent avec les moyens du bord.

Par ailleurs, le confucianisme, très ancré dans la mentalité vietnamienne, inculque le respect des aînés et de l'autorité. Le système politique communiste toujours en vigueur à l'heure actuelle accentue encore ce strict respect de la hiérarchie. Ainsi, une infirmière qui lancerait une idée d'amélioration du travail au sein d'un service a peu de chances de voir aboutir son projet, du fait du blocage au niveau supérieur. Pour nos mentalités occidentales, que de temps perdu ! Les médecins suisses doivent donc composer: faire travailler ensemble un jeune médecin formé et un aîné moins rompu aux techiques modernes, ceci dans le but d'améliorer la qualité du travail sans toutefois froisser ceux qui détiennent l'autorité. Sous nos latitudes, l'incompétent serait licencié ou muté, voire remplacé. Bref, dans cet esprit alliant tact et diplomatie, la patience est la maîtresse des vertus.

Dans le domaine de la prescription de médicaments, les pratiques diffèrent de chez nous. L'hôpital ne distribue pas de morphine ou autres antalgiques. Ceci en raison des problèmes de drogue et des vols de médicaments causés par les toxicomanes notamment. Aucun calmant majeur n'est à disposition. "L'atténuation de la douleur ne constitue pas une priorité ici", explique le Dr Bernard Neuhaus. Les accouchements se font dans la douleur: pas de péridurale ni de de calmants ! Les interruptions de grossesse se pratiquent frèquemment, en raison des tabous et de l'inexistence des contraceptifs, au demeurant fort onéreux.

En outre, le Dr Bernard Neuhaus est frappé par la diminution du nombre de patients comparé à celui de 1998. Ceci est probablement dû à l'augmentation du prix de l'hospitalisation. En effet, l'hôpital doit augmenter ses prix pour acheter du matériel et de offrir une formation de qualité à son personnel. Enfin, les salaires des médecins et du personnel hospitalier ne leur permettant pas de vivre décemment, ces gens doivent par conséquent trouver des activités rémunérées complémentaires. Sachant qu'une opération coûte environ 3 dollars US et une journée d'hôpital environ 2 dollars US, la dépense est importante pour les familles modestes, dont le revenu par personne atteint péniblement 2 dollars US par jour. De plus, la famille du patient doit fournir elle-même les repas et dispenser les soins de base pendant toute la durée du séjour à l'hôpital.


Saigon, district de Go Vap: une école pas comme les autres

L'école publique, quoi qu'en dise les autorités, n'est jamais vraiment gratuite au Vietnam. Ainsi, de nombreux parents doivent renoncer à envoyer leur progéniture à l'école du fait des frais d'inscription et de l'achat de fournitures diverses, cahiers, etc.; l'élève a en effet l'obligation d'acheter les cahiers fournis par l'école dans laquelle il s'inscrit. Pour les familles pauvres, ces dépenses grèvent un budget déjà très limité. Pour pallier à cette situation, Thérèse, enseignante aujourd'hui retraitée, armée de sa foi en Dieu, fait le tour des familles pauvres de son quartier et, grâce à quelques dons privés ainsi qu'à l'aide d'une petite association d'entraide romande *, s'occupe de 80 enfants. Quelques-uns sont orphelins, mais ce sont avant tout des enfants qui n'ont pas suivi le cursus scolaire normal, c'est-à-dire que leurs parents n'avaient pas les moyens de les inscrire à l'école et de fournir le matériel et les vêtements nécessaires. Thérèse leur dispense des cours de rattrapage afin qu'ils atteignent le niveau leur permettant de réintégrer l'école publique. Dans son école de Go Vap, les enfants bénéficient de repas chauds, de vêtements (chemise blanche obligatoire, pantalon bleu foncé et jupe de la même couleur pour les filles). Seule, elle donne des cours aux enfants, les inscrit à l'école publique et cherche également des places d'apprentissage pour les adolescents. Thérèse ne peut compter que sur l'aide d'une voisine pour préparer les repas des enfants. Ce sont les plus grands qui vaquent à quelques tâches ménagères et distribuent le repas aux enfants sagement alignés à même le sol. Certains de ses enfants vivent des situations très difficiles: mères célibataires ou veuves, parents violents ou divorcés, etc. Une tâche immense pour une femme armée de sa foi chrétienne et de sa volonté inébranlable de ne pas "laisser tomber" ses jeunes protégés. Ici, le courage et l'abnégation ne paient pas puisque, dans ce cas précis, aucun salaire ni aucune prestation financière n'est versée à Thérèse; elle est retraitée et avait, à l'époque, touchée en une seule fois sa maigre pension.

La vie des étudiants entrant à l'Université n'est pas une sinécure. Souvent, ils partagent à plusieurs des dortoirs au confort plus que sommaire. Dortoir qui leur sert également de salle d'études, de cuisine, etc. En raison de coupures d'électricité fréquentes, les étudiants sont parfois contraints de se regrouper sous les réverbères du campus pour pouvoir continuer à étudier. La hiérarchie des rapports a cours ici aussi. Les étudiants sont habitués à suivre les directives à la lettre et à obéir au professeur sans le remettre en question. L'étudiant qui se révèle plus brillant que ses camarades est mis à l'écart. Chacun doit rentrer dans le rang et y rester. L'étude du marxisme a toujours droit de cité au Vietnam à l'heure actuelle. L'étudiant doit également se soumettre aux exercices militaires de rigueur. Paradoxalement, presque tous les écoliers et étudiants suivent des cours privés supplémentaires. Ce goût de l'étude et cette rage d'aspirer à une bonne situation sont légitimes, mais il est regrettable que le fonctionnement du système éducatif vietnamien, public ou privé, tienne davantage du "bourrage du crâne" que du développement intellectuel individualisé. Dès lors, les étudiants qui ont la chance d'être embauchés par des entreprises étrangères ne prennent aucune initiative propre à résoudre les problèmes inhérents à l'entreprise et au pays. Le niveau de l'enseignement laisse souvent à désirer: un professeur d'université touchant un salaire d'environ 50 francs suisses préfèrera se lancer dans le commerce ou tout autre activité plus lucrative. En outre, pour que la réputation d'une école soit maintenue, il est d'usage de faire passer 85 à 90 % des élèves, quitte à ce que la qualité de l'école et le niveau des étudiants en pâtisse.


* Association culturelle Suisse-Vietnam, Mme My Phuoc Durous, Tél.: +41 (0)21 701 20 59


©1999 Cédric Matthey
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