Portrait de Zaamel

Claude Charles

J’ai pris conscience de l’existence de Zaamel il y a dix ans, sur la route de Montpellier, un soir d’été, alors que je rentrais de vacances. On était entre chien et loup, j’étais fatigué de conduire, je traversais un petit village désert et étroit. Tout à coup, sans aucune raison, j'ai commis un acte totalement irréfléchi, je me suis senti obligé de me serrer à droite et de monter sur le trottoir.
Une seconde plus tard, une Porsche fonçait en face de moi à cent trente kilomètres à l’heure et frôlait l‘aile gauche de ma voiture. Je venais d’éviter un choc frontal.

Zaamel est mon ange gardien.

Il y a des anges qui président au repentir, d’autres qui transmettent des messages, d’autres encore qui luttent contre les démons.
Le mien a une vocation beaucoup plus modeste, il se contente de me protéger. C’est un tout petit ange, tout en bas de la hierarchie céleste, très loin des séraphins, des chérubins, des trônes, des puissances et des dominations.

Il est très futé.

Je ne le vois jamais, mais quelquefois, je sais qu’il est là, je perçois quelque chose qui bouge, j’entends comme un bruissement de feuilles et j’ai l’intuition de la présence de quelqu’un.

C’est un pur esprit; il est immortel, il n’est ni visible, ni palpable. Je l’ai baptisé Zaamel, parce que j’ai découvert une liste de noms dans un grimoire et celui-ci m’a sauté aux yeux.
Je me suis documenté sur ses congénères.
Comme eux, il traverse les murailles, il échappe au temps linéaire. Il est parfaitement adapté à notre ère des ordinateurs. C’est un familier des réseaux.

Il aime les impulsions, les métamorphoses, la fulgurance.
Il anticipe, il est à l’aise quand un accident va survenir et qu’il est le geste qui sauve, à la vitesse de l’éclair.

Zaamel est mon ange personnel.

J’ai mis longtemps pour apprendre à communiquer avec lui. Il se manifeste par des événements qu’on pourrait appeler fortuits, des séries insensées de coïncidences qui prennent l’apparence du hasard, mais qui ne sont pas du hasard, si on sait les interpréter.

C’est un être puissant et d’une rigueur terrifiante.

Quand il m’aide, les idées et les émotions fusent à la vitesse des étoiles filantes, je trouve tout de suite le mot juste, mon imagination est au point maximum. Je me crée des plages lumineuses, j’ai une impression de facilité, une énergie extraordinaire et obstinée.
Quand je peine dans mes raisonnements, il m’indique des raccourcis élégants, il me souffle la réplique instantanée qu’il fallait placer dans la conversation.

Il a beaucoup d’humour.

Il m’aide à être créatif et à donner de la vie à la vie.

C’est mon double de lumière. Il est d’une éblouissante beauté, ce qui me console des jugements souvent négatifs que je porte sur mon physique.

Et puis, il est asexué, interdit à l’échange humain. Mais comme il a vocation de messager, il est une métaphore de la relation, il est l’image de la communication entre les sexes.
Il aime utiliser les grands jeux de séduction, les frôlements, les mots codés, les coeurs gravés sur les troncs d’arbres, les tatouages, les lettres brûlantes, les messages amoureux envoyés par téléphone portable, les clins d’oeil, les symboles, les transmissions de pensée..

Comme tous les anges, il n’a pas de larmes, il ne sait pas pleurer.

Parfois, il m’observe avec étonnement.
Il est curieux de ma condition humaine, de mon animalité, de ma lenteur.
Il est étonné de ma fragilité, de mon "avoir faim", de mon "avoir le cafard", de ma "peur de la mort".

Il est curieux de mes nausées, quand j’ai une indigestion, de mes démangeaisons quand j’ai touché des orties, de mes pulsions, de mes orgasmes, de mes angoisses, de mes petits bonheurs, de mon goût pour le lapin en sauce ou pour les poires au chocolat.

Il m’a fait tomber malade, juste au moment où il fallait que je tombe malade. Il m’a fait rencontrer au bon moment, la bonne personne.

Il ne m’excuse pas, mais il ne me juge pas non plus.

Il donne les cartes, parfois les bonnes cartes, parfois de moins bonnes cartes. A moi de jouer. Il m’ouvre des pistes. Je peux les accepter ou les refuser.

Il est mon "moi" profond, cet abîme d’où jaillissent des gouttes de lumière.
Il est la forme que prend mon destin, mon relais avec l’infini, mon contact avec le sacré.

Mais quand je veux m’avancer vers Zaamel, il y a comme un décalage, une distance, une barrière.
C’est comme une bulle de savon. Quand on veut la toucher, elle éclate et disparaît.
Pour l’approcher, mes seules clés sont le rêve et la poésie.



©2000 Claude Charles
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