Un de trop


Tyler Durden (*)

Pour un pour-cent de trop, les joyeuses bidasses helvètes pourront elles aussi occire à qui mieux-mieux leurs prochains à l'étranger ! Bravo ! Quelle victoire !

Revenons sur les formes de la campagne. La presse tout d'abord : celle-ci n'a cessé de brouiller les pistes. Nous allons voter sur un objet militaire, mais les éditoriaux se succèdent (dans Le Temps, notamment) pour nous expliquer qu'en réalité, nous ne votons pas vraiment sur l'armée, mais plutôt sur " l'ouverture ", et qu'il ne faut pas confondre. D'accord, ne nous trompons pas de cible : quelle ouverture ? Il s'agit de permettre à nos soldats de participer pleinement à leur condition de troufion international : tirer à vue pour " maintenir la paix ". Il est vrai que si nous refroidissons nous-mêmes les belligérants, il n'y aura plus de conflit, ils seront morts. Raccourci ? Pas vraiment. Regardons quelques cas :

La Corée, une des premières actions de grande envergure de l'ONU fut un fiasco total, déchirant une nation entière. Oncle Sam est passé par-là.

Plus récent, la Somalie : magnifique débarquement des soldats américains sous pavillon bleu, digne d'Apocalypse Now, sauf que Coppola était remplacé pour l'occasion pas les cameramen de CNN. Résultat ? Allez faire un tour en Somalie, un vrai " safari-ethno ", il ne reste que quelques comptoirs en bord de mer et le reste du pays est livré à des hordes de mercenaires ou est retombé dans les vieux systèmes de chefferie. Bilan : plus d'Etat et situation proche de la Guerre du feu.
Plus proche de nous encore : le Rwanda. Exemple suprême peut-être de l'incapacité des schtroumpfs pacificateurs. Nos gentils amis se sont pointés juste le temps de récupérer leur ressortissants et de permettre aux deux factions de préparer la suite. Mission réussie : à peine étaient-ils partis que cela repartait de plus belle ! (1)
Ne soyons pas mesquins, il faut reconnaître que les hautes autorités onusiennes se sont excusées du " couac ". Maigre consolation pour une telle désolation...
Attention, cela se rapproche : l'Ex-Yougoslavie. La mission est tellement bien réussie qu'il fait bon aller en vacances en Bosnie... sous bonne garde. Personne n'a rien vu des deniers de la reconstruction : toute ruine est preuve. La belle affaire. Au fait, si vous y allez tout de même au mois d'août, pas besoin de chercher leur monnaie, ils n'en ont plus. Rabattez-vous sur le Deutsch Mark (2).

Alors, excusez-moi ou non, mais merci pour l'ouverture. Je suis ab-so-lu-ment ra-vi de cette avancée dans la coopération internationale pour maintenir une situation mondiale tout à fait honorable puisqu'elle nous est bénéfique. Et que les autres, ceux que nous sommes censés protéger, aillent se faire foutre, après tout, nous allons déjà les voir, ce qui n'est déjà pas si mal.

Ce qui est encore plus casse-pied, finalement, ce n'est pas tant l'issue du scrutin que la manière de réfléchir apportée par la presse, malgré sa soi-disant liberté (3) : voter non, c'est faire le jeu de Blocher et de l'ASIN.
Mettons-nous d'accord, quand je vote, moi, je ne fais le jeu de personne. Je lis, je m'intéresse et je vais voter en mon âme et conscience, n'accordant aucune importance à ce que le parti Lambda trouve fin de dire.
Certains s'offusquent de cette façon de faire, la trouvant égoïste. Ils prétendent qu'il faut une pensée " globale ", comme la globalisation.
Il faut bien se rendre compte que ce qui nous protège encore de la pensée unique c'est précisément notre capacité à avoir une réflexion indépendante. En sociologie on appelle cela la théorie des enjeux, qui amène certains individus ou groupements à se prononcer non plus par rapport à l'objet, mais par rapport à ce que un tel ou autre en a dit. Sans doute en ligne droite dans la Realpolitik, mais peu éclairée comme manière de procéder.
En fait, cela revient à contredire pour le fun, à s'opposer par principe, mais assurément sans réflexion propre et directe. Ceux-ci ont-ils seulement réfléchi à la portée de l'objet du vote ?
Je me demande.

Un dernier mot sur cette " pensée univoque " : Si un jour Blocher et consort se prononçaient contre la peine de mort, voteriez-vous Pour juste histoire de ne pas faire leur jeu ?

1. Pour avoir une idée de l'ampleur des dégâts, regardez le livre du photographe Gilles Peress " The Silence " éd. Scalo. Il y a notamment un cliché où l'on voit un soldat des Forces internationales arrivées sur la fin du massacre qui fait signe de passer à un bulldozer rempli de cadavres, no comment.

2. Il est intéressant de constater que la Bosnie n'a plus le droit de battre monnaie et doit donc utiliser le Mark allemand. Bon à savoir : le directeur de la Banque de Bosnie est nommé par le Fond Monétaire International. A qui profite la guerre ?

3. Nous disons souvent avec un regard fier que nous jouissons de la liberté de la presse. Un bémol, ce n'est pas parce que nos journalistes ne sont pas exécutés régulièrement que notre presse est libre. Je citerai pour cela Lénine qui disait qu'il n'a aura pas de réelle liberté de la presse tant que le meilleur papier, la meilleure encre, les meilleures imprimeries et réseaux de diffusion ne seront pas à la disposition de tous gratuitement.

* Tyler Durden est un pseudonyme. L'identité de l'auteur est connue de la rédaction.



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