Tyler ou l'insoutenable tolérance


Tyler Durden (*)

Dans ce monde en décomposition, foisonnent des idées (ou plutôt des idéaux) que l'on qualifie tantôt d'humanistes ou tantôt de progressistes, les plus hardis poussant même jusqu'au terme de novatrices.
Je me propose d'analyser quelque peu ces émanations fumeuses, histoire de voir à quoi on a à faire.

Première d'entre elles : la tolérance.

Ah, quel beau mot ! Qui entraîne, dès qu'on le prononce, admiration et reconnaissance. Un de ces mots qui fait frémir les chaumières, qui exalte les sombres idiots qui servent d'intellectuels cathodiques, enfin qui enflamme les débats " nationaux " où l'audimat a remplacé la passion.

Je précise d'emblée qu'il y a une différence entre la tolérance " active " et la tolérance " passive " :
La tolérance dite active est celle de Voltaire : " Je ne suis pas d'accord avec vous, mais je me battrai pour que vous puissiez vous exprimer ". Il s'agit d'accepter un avis contraire et d'en discuter, de l'examiner, afin de mieux se comprendre et de clarifier les désaccords. Dans ce cas, le débat a pleinement lieu, sans dogmatisme.
La tolérance " passive " quant à elle, implique de ne pas entrer en matière sur les désaccords, de les éluder, bref, de faire comme si tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. C'est cette tolérance là qui est prônée par les intellos de plateau télé, relayés par les gratte-papier bien-pensants.

Selon ces derniers et tous leurs complices, il faut être tolérant, accepter la différence de l'autre, lui laisser ses pensées et surtout ses illusions. Ne pas être tolérant, c'est être un plouc ; oser contredire son interlocuteur (et ce quel qu'il soit : individu, collectivité, journal, radio ou télévision), c'est être un rustre doublé d'un un butor.
Dans ce contexte, on nous explique que tout individu a droit à son opinion, ce qui amène que l'on ne doive pas le contredire, donc être tolérant.
Si je suis d'accord avec la première proposition, la deuxième est une insulte au bon sens. Je m'explique : Il y a une énorme différence entre avoir une pensée propre et accepter celle de tout le monde. Si je pense, j'émets un jugement. Tout jugement est soumis, sinon à discussion, au moins à commentaire. Or, la deuxième proposition condamnant la contradiction, elle condamne aussi de facto toute discussion. Cela résume finalement le débat à une succession de discours que nous devrions écouter sans broncher, dans un silence religieux, parce que nous sommes des gens biens comme il faut, puisque nous sommes tolérants. A la bonne heure !

Si nous regardons encore un peu plus loin, nous nous rendons compte que cette tolérance devient finalement une indifférence crasse. En effet, dire amen à tout et son contraire revient à se foutre de tout. Là où le débat meurt, l'intérêt le suit dans la tombe. S'il n'y a pas de possibilité de contradiction, il n'y a plus de choix possibles, plus de camps, plus de luttes.

Il est bien connu qu'une foule tolérante est une foule docile.
Et c'est là que nous touchons au fond de l'affaire : à qui profite l'indifférence ?
Pour répondre à cela, nous pouvons déjà partir du fait que si l'on refuse le débat, c'est que l'on a quelque chose à cacher ou à préserver.
Alors si les thuriféraires de la tolérance à tout va ont quelque chose à cacher, qu'est-ce ? Des intérêts politiques, économiques ou stratégiques ? Bien souvent oui.

Un exemple : lors des bombardements de l'OTAN sur la Serbie et le Kosovo, cette endive moite de Cohn-Bendit (1) avait lancé : " Si tu es contre les bombardements, tu es pour Milosevic ". Whaa ! Quel homme de débat ! Quel tribun !
Tu parles ! Cette phrase n'était rien d'autre qu'une tentative pour empêcher tout débat, pour éviter que l'on mette le doigt sur une sale guerre aux buts économico-politiques et rien d'autre. Au moment même où cet empaffé d'écolo bon teint défendait ceux qui détruisaient avec minutie un pays et préparaient la mise sous tutelle du Kosovo par l'OTAN (2) ( les ricains en tête), d'autres comme Alain Badiou (3), Max Gallo (4) ou Régis Debray (5) se faisaient immoler sur la place publique parce qu'ils avaient osé condamner les Docteurs Folamour (6) du Pentagone et leurs acolytes.
Debray et ses copains avaient commis un crime de lèse-majesté : ils n'ont pas été tolérants à l'égard de l'OTAN !

Voilà où mène cette tolérance : à la négation de libre débat démocratique. Elle nous refuse le droit à notre libre arbitre ; elle nous cantonne dans les rangs proprets de l'école du prêt-à-penser qu'est la pensée unique !

L'enfer du Big Brother d'Orwell (7) n'est pas très loin.


1 Daniel Cohn-Bendit, dit Dany le rouge, ancien étudiant activiste lors des événements de Mai 68. Il est actuellement député européen des Verts. (inutile de préciser que je ne l'aime pas !)

2 lire à ce sujet l'excellent livre de Michel Collon, " Monopoly, l'OTAN à la conquête du monde ", éditions EPO.

3 philosophe et dramaturge français né en 1937.

4 écrivain s'étant souvent associé à des mouvements pacifistes comme lors de la Guerre du Golfe en 1991.

5 philosophe français né en 1940. Debray s'est intéressé très tôt au pouvoir des médias et s'était illustré en 1967 en entrant dans la guérilla de Che Guevara en Bolivie où il fut arrêté et libéré trois ans plus tard grâce à l'intervention de nombreux intellectuels français.

6 " Docteur Folamour " est un film de Stanley Kubrick qui dénonce la folie de la course à l'armement et notamment à la bombe atomique.

7 George Orwell, écrivain anglais (1905-1950), s'est toujours engagé contre le totalitarisme. Il a notamment fait partie des milices du POUM (8) lors de la Guerre d'Espagne en 1936. il a écrit, entre autres, " 1984 ", roman d'anticipation dans lequel la pensée unique, qui domine le monde et a interdit le rêve, s'exprime au travers de Big Brother.

8 Parti Ouvrier d'Unification Marxiste, regroupant des militants indépendants ou trotskistes lors de la lutte contre le fascisme de Franco. Ce parti a été, juste avant les anarchistes de la FAI-CNT, la cible des stalinistes du PC qui les firent arrêter et éliminer.

* Tyler Durden est un pseudonyme. L'identité de l'auteur est connue de la rédaction.



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