Brèves.

Malvira *

En bas de page, cinq lignes relatent les faits sobrement. Pas un mot de trop et un point final qui me chavire le coeur. Je relis cette « brève » tant de fois que j'ai l'impression d'user le papier. D'habitude pourtant, je tourne la page sans même y penser. J'aurais aimé le faire aujourd'hui encore. Mais voilà, cette fois, c'est différent. Je connais celui qui a choisi d'entreprendre le grand voyage. Oui, il l'a voulu. Oui, il a sans doute mûrement réfléchi à son acte. Mais au nom du ciel, pourquoi ? Cette violence inouïe me laisse comme anesthésiée, hébétée. Brutalement, la fatalité sort de l'anonymat. Devant moi, elle retire son masque et prend les traits du visage de celui qui était en apparence si serein, ses cheveux en bataille, son sourire timide.

Il vient de partir. Il s'est donné la mort. Venir, partir, donner, reprendre. La langue française est décidément pleine de contradictions. Réfléchissez-y bien. Vraiment. Arrêtez-vous un instant et prenez le temps de vous pencher sur l'absurdité de votre passage ici-bas. Qui que vous soyez et quoi que vous fassiez, vous devrez tôt ou tard vous rendre à l'évidence : votre existence n'est que contradictions. La vie et la mort s'y côtoient en permanence. Je les imagine comme deux silhouettes, pratiquement immobiles parce que figées dans l'effort, qui se regardent droit dans les yeux pendant un interminable bras de fer. Si seulement la vie avait pu l'emporter cette fois.

Qui peut me dire comment changer le cours inexorable du destin ? Devant l'acte désespéré de cet enfant, je ne croise que ma propre impuissance et j'ai envie de hurler à la face du monde que cela ne devait pas se passer comme ça. Il n'a même pas eu le temps de laisser son empreinte sur cette Terre. Tout est allé beaucoup trop vite. Au nom de quoi ? C'est fini. Avec le temps, les questions se mêlent aux larmes. Comment se fait-il qu’un gosse, qui avait tout pour être heureux, ait pu croire un seul instant que la Faucheuse était sa seule alliée ? La faute à qui ? A personne et à tout le monde. Au mal-être généralisé qui caractérise malheureusement si bien cette société de glace dans laquelle nous vivons, où tout glisse, où ceux qui ne rentrent pas dans le moule de la sacro-sainte performance sont condamnés à s’en accommoder ou à disparaître. Est-ce cela que nous voulons ? Ne sommes-nous pas en train de passer à côté de l’essentiel ? Réfléchissez-y bien.


* Malvira s'est notamment fait connaître par ses interventions sur Largeur.com. Son identité est connue de la rédaction.



©2000 Malvira
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