Le sourire de l'enfant noire  

Cédric Matthey

C'était un de ces dimanches crasseux et terne, où le ciel se traînait en de vaporeuses volutes de grisaille. Le brouillard frôlait le sol, rejoignant ainsi mon âme, au moral sapé par ce climat de fin de siècle.  

Prostré dans mon véhicule à l'arrêt aux alentours d'une banale station d'essence, un de ces "convenience shop" à l'allure de bazar comme il en fleurit tant au bord de nos routes, une hirondelle a soudain éclairci le ciel de mon esprit embrumé. A travers la vitre arrière d'un autre véhicule immobile, une tête d'enfant noire, presqu'adolescente, se tourna dans ma direction et croisa, l'espace d'un instant, mon regard.  

Une fraction de seconde, une étincelle d'éternité, le sourire lumineux que ce petit brin de femme m'adressa suffit à rompre la monotonie d'une journée sans relief. Ce sourire-là, le sourire de l'enfant noire, avait en cet instant précis le parfum de la tiédeur, celle où se love l'âme en chagrin.  

La demoiselle connaîtra-t-elle jamais le pouvoir d'un sourire, aura-t-elle à jamais conscience de la lueur allumée dans la pénombre de mon coeur, saura-t-elle enfin la valeur de l'innocence ? Au jour d'aujourd'hui, aussi non-conventionnelle que puisse paraître la spontanéité ou la gentillesse, il était inscrit dans les astres du firmament, dans le désastre du monde, que cette jeune femme en devenir sauverait mon dimanche de l'ennui.  

En tous temps, en tous lieux, le sourire d'une enfant peut sauver l'humanité.  


©1999 Cédric Matthey
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