Gourmande, regardante, pas curieuse. Pandore en appel.

Ispolnenie *

Françoise a dit: «c’est tout de même navrant, il n’y en a plus qu’à la menthe!» Il y a un mois, elle a rempli à nouveau sur le buffet la potiche de porcelaine avec couvercle, peinte avec fierté par ma soeur, potiche qui nous sert de bonbonnière. Un rituel. Objet précieux et fragile qui nous amuse depuis bientôt dix ans, parce qu’il survit aux très nombreuses sollicitations. Trop fragile peut-être pour être en danger. Des milliers de fois, le couvercle a été soulevé, souvent avec des gestes maladroits. Une main s’est introduite pour prendre un bonbon. Laura a découvert depuis quelques semaines qu’elle avait maintenant la main trop grande pour en emporter plusieurs. Elle reste prisonnière. Elle a trouvé qu’elle perdait un avantage, par rapport à Kelly et Thomas. Elle grandit. Elle change de camp. Avec fierté. Et tout à coup cette réflexion: «c’est tout de même navrant, il n’y en a plus qu’à la menthe». Je suis amusé. C’est vrai que j’ai cherché d’abord les caramels, puis les caramels aux fruits, puis les bonbons citronnés, et ceux aux herbes. Et je soupçonne Françoise d’en avoir fait de même. Pourquoi cette réaction, chaque fois que se présente l’occasion de faire un choix. Que ce soit devant une poignée de cerises ou une grappe de raisins, pourquoi cette envie de trier, de commencer par la jouissance sachant que les dernières seront mangées aussi? Un jeu? Un réflexe animal qui fait que nous avons peur encore de devoir brusquement quitter le repas, chassé par un prédateur? Non, je crois que c’est un jeu, comme c’est un jeu d’attendre le jour où la potiche de porcelaine volera en éclats. Le jour où nous trouverons normal qu’on finisse par nous punir d’avoir trop insisté sur la consommation des bonbons. Nous sommes prêts à payer cette gourmandise. Et entre-nous, j’ai un léger soupçon: je ne crois pas que Françoise aime vraiment cette potiche.


* Ispolnenie s'est notamment distingué par ses interventions sur le Site Innocent et Largeur.com. Son identité est connue de la rédaction.


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