Exode - Sebastião Salgado (1)


Tyler Durden (*)

Le seul bruit que l'on entend est celui des semelles qui crissent sur le parquet et le ronronnement de l'air conditionné.
Ce n'est pas un consulat, c'est une exposition.

Comme des fantômes, les visiteurs glissent d'un cliché à un autre, en silence.
On hésite à parler, on s'efforce même de respirer doucement, au ralenti, Parfois, un sursaut trahit le silence, le choc est omniprésent.
Sacs aux dos, les badauds regardent la misère du monde s'afficher aux murs, dégouliner le long des parois.
L'horreur et la peur sont à chaque contour.
Toutefois, aucun cliché ne manque de dignité. L'objectif de Salgado n'est pas voyeur, il est fier et accusateur :

" L'humanité s'est mise en marche dans l'urgence et le chaos.

Ces dernières décennies, la pauvreté, les guerres et la répression ont délogé des centaines de millions de personnes dans le monde entiers. Certaines fuient pour sauver leur peau, d'autre risquent la leur pour échapper à la misère. (...) Chacune à sa manière, elles sont toutes à la merci de forces politiques ou économiques qui les dépassent.
(...)
Les évènements qui font aujourd'hui l'actualité internationale sont tous d'une certaine manière liés les uns aux autres. Il est impossible de ne pas être touché par l'aggravation de la fracture sociale, par la croissance démographique, la mécanisation de l'agriculture, la destruction de l'environnement ou l'exploitation du fanatisme à des fins politiques. Les personnes que l'on a arrachées à leurs domiciles ne sont que les victimes les plus visibles de ce bouleversement mondial.

Les photographies rassemblées dans cette exposition donnent à lire les moments tragiques, dramatiques ou héroïques qui font la texture de la vie des gens. Mais, prises dans leur ensemble, ces photos racontent aussi l'histoire de notre époque.
A défaut d'offrire des réponses, elles posent au moins une question :
Devons-nous, au moment d'entrer dans le futur, reléguer dans l'ombre une bonne partie de l'humanité ? "(2)

Ainsi, chaque visage porte son histoire et sa touche d'espoir. Lui n'a pas été enterré au milieu des camps de réfugiés !

On voit des enfants danser et jouer derrière les barbelés d'un camp, d'autres nous fixer l'air de nous demander ce que nous regardons.
Il y a aussi cette image : sur le bord d'une route rouandaise, le carnage, et en face, les vivants qui fuient... la vie passe bien souvent à côté de la mort.

Les visiteurs passent ainsi sur la douleur du monde, devant des photographies aux allures de gravures de notre temps qui, avant d'informer, parlent, interpellent et toujours dérangent. Soudain, l'un des spectateurs porte sa main à la bouche, écarquille les yeux, ne voulant pas y croire. Pourtant si, ce sont bien des cadavres ou des corps faméliques mis en scène par la tragédie de la guerre ou de l'exode.

De l'entrée à la sortie, les sourires s'estompent et font place à des mines graves et des yeux chargés de douleur et de frayeur.

Et pourtant, au dehors, il fait beau, le ronron du climatiseur est remplacé par celui des moteurs et la vie reprend son cours, indifférente.

1 Sebastião Salgado est un des plus grands photographes actuels. Il a travaillé pendant près de quinze ans pour la légendaire agence Magnum. Il a publié différents ouvrages dont le plus important et le plus célèbre est " Workers ".

2 Texte d'introduction à l'exposition " Exode ", regroupant environs trois cent clichés pris aux quatre coins de la terre, au fil des guerres et des fuites marquant notre monde. Le catalogue de l'exposition est disponible aux éditions de La Martinière.

* Tyler Durden est un pseudonyme. L'identité de l'auteur est connue de la rédaction.



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