Don McCullin: "Images des ténèbres"   Retour sur une exposition en "noir et noir" * 

Cédric Matthey

Dire des clichés de Don McCullin qu'ils sont sombres apparaît comme un doux euphémisme ! En effet, parmi la sélection exposée au Musée de l'Elysée à Lausanne, ne figurent que des photographies "en noir et noir" serais-je tenté de dire. McCullin nous offre une vision de la face cachée de l'être humain, celle où les penchants mortifères prennent le dessus sur toute considération morale ou éthique. La noirceur de l'âme humaine prend ici tout son sens et se reflète au travers de photographies d'une intensité brute, débarrassée de tout artifice, comme si la noirceur des clichés se voulait encore plus révélatrice que le cliché lui-même.  

La dignité humaine bafouée, sous toutes les latitudes, constitue le fil ténu le long duquel McCullin se raccroche tel un équilibriste, toujours à la limite entre la vie et la mort. Cependant, loin d'être destinés à glorifier la mort, voire à la rendre acceptable, les images de Mc Cullin déclenchent au contraire des pulsions d'indignation en nous plongeant au coeur du tourment de la vie, dans ce qu'elle peut avoir de plus cruel, de plus injuste, de plus impitoyable. Les visages de souffrances immortalisés par McCullin suscitent la réflexion, plus que la compassion, parce qu'ils ne font pas appel aux bons sentiments de rigueur ou à la pitié mielleuse face à la détresse humaine. Non, ces images nous frappent le coeur et l'esprit, car elles remettent en cause la vision que l'on peut avoir de nos semblables, si semblables et si éloignés à la fois, l'existence et le destin de ces individus pourraient être les nôtres bien que parfois, vu la dureté de la situation, notre inconscient se révolte à la vue de ces tortionnaires usant et abusant de la force et de l'autorité illégitime que leur procure la violence qu'ils incarnent.  

Même s'il est subjectif, voire injuste, d'effectuer un tri parmi le remarquable travail de McCullin, il est néanmoins deux images, qui plus que toutes les autres, marqueront ma mémoire. Ces deux prises de vues ont pour cadre la guerre "américaine" du Vîêt Nam. L'une d'elles montre la tête d'un soldat nord vietnamien mort sur le lieu du combat, les yeus fermés, avec étalés devant lui ses effets personnels: photo de son épouse, souvenirs familiaux et... quelques cartouches de munition. La force de ce cliché traduit mieux que n'importe quel discours l'anéantissement d'un espoir, une vie brisée, fauchée par la folie meurtrière. Le Vietnam encore avec l'affiche de l'exposition qui représente un jeune soldat américain, les yeux hagards, attendant d'être évacué du théâtre des opérations, dévoilant ainsi une peur sournoise et indicible qui saisit un individu plongé dans les aberrations d'une guerre qu'il est loin de maîtriser.  

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le travail de McCullin force l'admiration par le fait qu'il constitue un formidable plaidoyer pour le respect de la dignité humaine. Car pour dénoncer l'injustice et l'oppression, l'oeuvre de McCullin écarte les artifices et le voyeurisme pour viser la simplicité et le dépouillement. Les photographies de McCullin sont autant d'appels à l'aide, pour que chaque citoyen se sente concerné, en conscience, par le destin de l'humanité tout entière.  


* Fut présenté au Musée de l'Elysée, Lausanne, jusqu'au 7 Novembre 1999

Mais aussi
La London young photographers gallery propose une sommaire présentation de quelques-uns des clichés de Don McCullin.

Votre libraire habituel vous proposera un recueil de textes et photographies de Don McCullin, relatifs à cette exposition, ceci à un prix très abordable :
Don McCullin, Centre National de la Photographie, 1992, Collection Photo Poche, ISBN : 2-86754-081-X

©1999 Cédric Matthey
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